lunes, 17 de septiembre de 2012

CANADA: Bureau d'information politique ;

Victoire populaire contre la bourgeoisie québécoise après six mois de lutte de masse – le bilan et les suites
15 septembre 2012


Le mouvement de lutte de masse de l’année 2012 au Québec a vraisemblablement réussi à freiner le programme d’austérité de la bourgeoisie à l’échelle de l’État provincial. C’est une incontestable victoire populaire, comme il s’en est gagné très peu depuis longtemps. Il faut en saisir la mesure.
Pourtant la victoire semble obscurcie, elle semble manquer d’éclat, comme entachée par son issue électorale. Le Parti québécois paraît avoir usurpé le crédit de la rue et plusieurs se résignent à voir la grève étudiante se terminer avec une certaine démoralisation. En effet, la frange la plus radicalisée du mouvement espérait sans doute un approfondissement ininterrompu de la crise sociale et un élargissement continu des enjeux de la lutte.
Il ne faut pas s’y tromper. Si la bourgeoisie a concédé la victoire à travers des élections, c’était pour sauver les meubles et les apparences, pour redonner une virginité à la crédibilité gouvernementale. Impuissant à isoler et à réprimer le mouvement, le gouvernement libéral n’a pas su résorber la crise sociale autrement. Aller aux devants d’un affrontement plus dur est apparu plus coûteux et sans doute plus risqué à la bourgeoisie que de céder, que d’acheter la paix. Ça ne signifie pas qu’elle a vaincu le mouvement de lutte, bien au contraire. Seulement que la révolution ne se mène pas en un seul acte. Et que pour l’instant, la victoire est bien celle du peuple, et la défaite celle de la bourgeoisie.
Bien entendu, cette victoire comme cette défaite ne sont ni l’une ni l’autre absolues ou définitives. Tout est immédiatement remis en jeu dans la prochaine conjoncture de lutte sociale. La question est de savoir qui consolidera ses positions, qui conservera ou reprendra l’initiative? Et où se mènera la prochaine bataille?
Équilibre fragile des forces politiques bourgeoises au Québec
La tactique électorale du PQ, développée depuis le printemps, aura été de se faire l’instrument politique parlementaire de la défaite des libéraux aux mains du mouvement de masse. Il a récupéré dans sa plateforme une grosse partie des revendications de l’opposition populaire: annulation de la hausse des frais de scolarité, de la loi spéciale, de la taxe santé, de la hausse des tarifs d’électricité, hausse des redevances minières, fiscalité plus progressive, etc.
Ce positionnement du PQ comme rempart parlementaire face à l’austérité est très précaire.
1. D’une part, le récent virage à gauche du PQ tient d’un opportunisme électoral assez primaire. Dans les deux sinon trois dernières décennies, la tendance lourde du parti – et notamment de chaque nouveau ou nouvelle chef-fe, dont Pauline Marois n’est que la dernière en date – est de se «recentrer» vers la droite pour donner au capitalisme québécois un environnement comparable à celui de ses compétiteurs. Malgré quelques appels du pied périodiques vers sa base électorale syndicale et populaire, le PQ gouverne dans les mêmes eaux que tous les gouvernements bourgeois dans le monde.
2. D’autre part, cette plateforme «de gauche» n’aura donné qu’une très courte victoire au PQ, un gouvernement minoritaire à peine plus fort que le Parti libéral sortant qui forme l’opposition officielle avec une différence de 4 députéEs et 1% de l’électorat.
En fait, les partis ouvertement favorables aux politiques d’austérité – le PLQ qui défendait son bilan et la CAQ qui prétend pouvoir faire mieux – ont largement la majorité de la députation du nouveau parlement et des suffrages exprimés (à eux deux 69 députéEs sur 125 et 58% des voix).
Ce que ça traduit, c’est que la bourgeoisie est politiquement affaiblie au niveau provincial par la division du vote entre ses trois principaux porte-parole politiques. C’est en fait une expression politique de la crise du capitalisme qui bouleverse les équilibres habituels et entraine une certaine instabilité dans la gouvernance bourgeoise (dont les gouvernements minoritaires, les «nouveaux partis du changement» et le populisme sont des figures typiques).
3. Enfin, il faut ajouter que le PQ n’est peut-être qu’une force politique historiquement en sursis. Il y a un an à peine, ce parti était en pleine décomposition sur fond de contestation du leadership de Pauline Marois. Les rats quittaient massivement le navire. Plus profondément, la crise du PQ exprimait l’essoufflement du mouvement nationaliste et de son projet d’indépendance. Depuis, l’hémorragie a été jugulée et la cheffe a repris le dessus, non sans quelques nouvelles difficultés à maintenir la cohésion et la discipline de parti.
Mais sa faible victoire électorale du 4 septembre a-t-elle changé quelque chose à la tendance de fond? Il ne semble pas que le résultat soit le fait d’une remontée de la ferveur indépendantiste. C’est peut-être d’ailleurs pourquoi le PQ s’est senti obligé de couper l’herbe sous le pied de Québec solidaire en récupérant les revendications populaires. Ça lui aura notamment permis de retenir une partie de l’électorat nationaliste de gauche qui tend à glisser vers QS, surtout dans les quartiers centraux de Montréal où ce parti a fait des progrès. Il n’a pas toujours été nécessaire de se démarquer sur l’axe gauche-droite pour gagner des élections au Québec. La question nationale suffisait il n’y a pas si longtemps et la promesse d’un Pays faisait alors rentrer dans le rang la base syndicale du parti indépendamment du programme de gouvernement. Si le PQ n’arrive pas à susciter un nouvel engouement pour la question nationale et les affrontements constitutionnels, il y a fort à parier que sa pertinence sera remise en cause, que les conflits intestins feront à nouveau rage et replongeront le parti dans une dynamique d’éclatement, qui vers la CAQ, qui vers QS, qui vers un autre nouveau groupe nationaliste dissident.
Le nouvel équilibre des forces parlementaires bourgeoises est donc fragile et les revendications populaires n’y trouveront probablement pas d’écho très longtemps. Par ailleurs, au niveau de l’État canadien, la bourgeoisie est bien en selle sous la gouverne du Parti conservateur qui n’a pas besoin de faire des compromis à son agenda politique.
Le capitalisme toujours hanté par la crise, la bourgeoisie obsédée par l’austérité
Au-delà des forces politiques en présence, ce qui menacera le plus les acquis de la lutte populaire, c’est probablement l’approfondissement de la crise capitaliste. Les économies des pays capitalistes avancés surnagent à peine au-dessus de la stagnation. Dans certains d’entre eux, en France notamment, la récession est quasiment déjà de retour et tout le Sud de l’Europe y croupit profondément depuis plusieurs années, tirant avec elle toute la zone euro vers le fond. La Chine, moteur de l’économie mondiale, s’étouffe et perd son élan.
Il faut en prévoir les conséquences: nouvelle vague de fermetures et de licenciements, remontée du chômage et des faillites personnelles. Le déclin de l’activité économique bouleversera les échéanciers de retour à l’équilibre budgétaire des États, exacerbant la crise des finances et de la dette publiques. Les bourgeoisies de tous les États seront alors plus déterminées que jamais à imposer un programme d’austérité encore plus sévère pour rétablir des conditions d’exploitation susceptibles de redresser les taux de profit, de relancer l’accumulation capitaliste. On verra se multiplier les attaques contre les salaires et les caisses de retraites, contre les droits du travail – à commencer par le droit de grève déjà très ébréché –, contre les charges sociales, contre les impôts et le financement de services publics accessibles et de programmes sociaux de soutien au revenu. Tout sera bon pour pousser les prolétaires à se vendre à meilleur marché.
Dans ces conditions, les dernières concessions arrachées à la bourgeoisie par la lutte du printemps 2012 devront être défendues avec une combattivité sans faille faute de quoi elles seront facilement emportées par la tempête.
En fait, la préparation contre cette secousse et la défense des positions acquises commencent dès maintenant par le constat que seule une partie de la bataille a été gagnée contre l’actuel train de mesures d’austérité de la bourgeoisie au Canada. Le gouvernement conservateur fédéral a adopté au printemps dernier une importante réforme de l’assurance-chômage qui fragilise dangereusement la position des travailleurs et des travailleuses face à l’éventualité d’un licenciement. Elle forcera notamment les prestataires à accepter des emplois à de moins bonnes conditions qu’auparavant. Conjugué à un contexte de récession, cette réforme aura des effets catastrophiques. Elle contribuera à tirer l’ensemble des salaires vers le bas. Pour l’instant, la résistance à cette attaque est à peu près nulle.
C’est peut-être vers ce front que le mouvement d’opposition populaire devrait se tourner pour trouver un nouveau souffle et consolider ses acquis. L’enjeu de l’assurance-chômage a ceci de fondamental qu’il se situe directement sur le terrain des intérêts de classe du prolétariat, qu’il est au cœur de la relation entre le travail et le capital. Davantage que l’enjeu des frais de scolarité il est susceptible d’entrainer dans la lutte la seule classe au potentiel réellement révolutionnaire et de donner à la bataille une portée politique qu’elle ne pouvait pas prendre ce printemps.
Un mouvement plus fort d’une expérience nouvelle
On ne peut pas simplement juger de la lutte du printemps à ses résultats immédiats, directs, c’est-à-dire au sort de ses revendications et au changement des forces parlementaires. Elle a également généré une expérience de lutte prolongée qui ne s’évapore pas avec l’arrêt de la grève et des manifestations, mais qui au contraire laisse transforméEs des dizaines de milliers d’étudiants et d’étudiantes et des milliers de personnes dans les quartiers populaires. Pour plusieurs, cette transformation en a fait des militants et des militantes non seulement plus aguerriEs, mais également radicaliséEs. Cet esprit combatif et émancipateur, plusieurs chercheront à le prolonger dans de nouvelles batailles.
Elle a aussi généré de nouvelles pratiques de lutte (nouvelles à tout le moins pour cette époque de morosité dans la lutte des classes): des manifestations quotidiennes, un climat de mobilisation permanente, des affrontements violents avec la police, des lignes de piquetage très dures contre la police, des manifestations simultanées dans des quartiers populaires, la possibilité d’une organisation militante à l’extérieur des cadres syndicaux (l’exemple révélateur de «Profs contre la hausse»), des assemblées populaires dans les quartiers, dont certaines ont donné lieu à des comités d’action politique.
Dans l’ensemble des diverses et innombrables initiatives prises dans le cadre de cette lutte, tout n’est pas bon, loin s’en faut. Mais de nouvelles formes de luttes prometteuses alors expérimentées seront réutilisées, développées, perfectionnées dans les luttes des prochains mois, des prochaines années. Elles ont démontré la possibilité de dépasser les cadres et les limites habituels.
«La lutte est populaire, la solution est révolutionnaire»
Le prolétariat ne pourra pas se contenter de lutter contre les attaques à ses conditions de vie et gagner occasionnellement quelques batailles en exploitant les contradictions électorales de la bourgeoisie. Tant que les luttes se cantonnent à des réformes et des concessions dans le cadre du capitalisme, la bourgeoisie peut être momentanément affaiblie, elle demeure la classe la plus puissante à moyen et à long terme. Elle demeure la classe dominante. L’obligation objective dans laquelle elle se trouve d’accumuler des profits la forcera à toujours reprendre ce qu’elle a cédé, et elle en aura les moyens.
Pour sortir de cette impasse, la question fondamentale est de savoir si, d’une lutte à l’autre, le prolétariat réussit non seulement à améliorer ou préserver sa situation économique, mais surtout s’il construit son pouvoir politique, s’il se donne progressivement les moyens de pousser la lutte de classe vers son issue révolutionnaire. C’est la tâche des révolutionnaires de faire en sorte que les luttes revendicatives permettent d’accumuler des forces autour d’un parti révolutionnaire. À son tour, à mesure qu’il gagne en importance, ce parti amplifie et unifie les luttes et leur donne une portée toujours plus politique, les transformant d’une opposition à tel patron ou à telle mesure en une opposition au capitalisme et à l’État bourgeois.
L’unification des éléments les plus radicaux autour de perspectives révolutionnaires, c’est ce qui a cruellement fait défaut dans ce printemps québécois. C’est une question qui doit être au cœur des discussions sur le bilan à tirer de la lutte, dont tout le potentiel n’est pas encore épuisé.

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