Le
mouvement des occupations de places publiques, parti de République à
Paris, s’est étendu dans de nombreuses villes à travers le territoire :
le mouvement s’est dans un premier étendu à d’autres villes que Paris
puis s’est étendu en banlieue dans des villes telles que Saint-Denis,
Saint-Ouen ou Aubervilliers. Prenant place dans le cadre de la
mobilisation contre la loi Travail, le mouvement Nuit Debout a plusieurs
caractéristiques, dont certaines contradictoires. Nous allons essayer
d’en voir les différents aspects tout en considérant que les Nuits
Debout revêtent des aspects différents suivant les endroits où elles se
tiennent.
La nature de Nuit Debout
Premièrement, quel type
de mouvement est Nuit Debout ? Le mouvement à l’initiative entre autres
de Lordon et François Ruffin sous le mot d’ordre de convergence des
luttes s’inscrivait dans le cadre de la lutte contre la loi travail.
Mais à vrai dire si on interroge les participants et participantes, on
s’aperçoit qu’ils n’ont pas tous et toutes la même vision du mouvement.
En gros, on peut catégoriser deux grandes tendances, qui s’entrecroisent
pour certains :
-
un mouvement citoyen, pas partisan, hors des partis et des syndicats, un mouvement pacifiste.
-
un mouvement de masse, complémentaire aux manifestations et permettant d’autres formes de mobilisation.
Dans ce cadre, certains
le voient uniquement comme une tribune permettant de diffuser leurs
idées. Ne donnant pas un objectif clair aux Nuits Debout, celles-ci sont
pour certain juste un moyen d’exprimer leurs lubies soient elles le
plus déconnectées de la réalité ou ouvertement conspirationnistes.
D’autres participent avec enthousiasme à un espace où l’on se retrouve
simplement pour discuter et agir avec des gens qui pensent à priori
« comme nous », qui le voient comme un espace d’espoir et de liberté.
La première version,
citoyenniste, c’est celle que BFMTV nous sert 24H/24H et que tous les
soi-disant apolitiques essayent d’incarner un peu partout. C’est la
version sur laquelle s’appuie le gouvernement et les partis et
organisations politiques institutionnelles pour soutenir « l’élan
citoyen » et le récupérer, s’appuyant sur leurs « idiots utiles ». Cette
version là des Nuits Debout sert à isoler les révolutionnaires et
celles et ceux qui veulent pousser la lutte un cran au dessus au travers
des Nuits Debout. C’est là-dessus que s’appuie Cambadélis, premier
secrétaire du PS, lorsqu’il déclare qu’il faut des « CRS Debout qui seront là pour faire en sorte que les violences ne viennent pas perturber ceux qui veulent discuter. »
Ainsi dans cette vision
là, Nuit Debout devient une tribune géante où chacun est libre
d’exprimer tout ce qu’il veut, d’où le reproche de certains que Nuit
Debout ressemble à une thérapie de groupe. Le but de Nuit Debout ne
serait plus la lutte mais d’être la « véritable démocratie ». C’est avec
cela qu’ils disent que tout le monde quelque soit ses idées politiques
est le bienvenue et qu’il faudrait respecter une liberté d’expression
quasi-totale.
C’est également sur
cette vision là que s’appuient les orateurs conspis déblatérant leur
lutte antisémite contre le « nouvel ordre mondial » ou encore les
partisans d’Etienne Chouard, qui veulent à tout prix nous servir leur
soupe de « nouvelle constitution ». Attardons nous un peu sur ces
derniers, car c’est avec cette frange là que nous avons eu le plus de
problèmes.
Beaucoup expriment la
revendication d’une « démocratie réelle ». Dans l’idée de Chouard ou de
Mélenchon, ils disent vouloir écrire une nouvelle constitution, plus
juste, plus démocratique. Pour eux la source de nos problèmes serait la
5e République, sa constitution et ses lois. Quand
nous parlons de lutte dans les assemblées, ceux là nous parlent
d’apaisement et de regroupement, notamment autour d’une hypothétique
« constitution ». Il faudrait qu’ils comprennent qu’un bout de papier ne
prend de l’importance que lorsqu’il est incarné dans la réalité. Les
lois bourgeoises n’ont d’importance que parce qu’elles sont incarnées
par les flics, les tribunaux et les juges. En parlant de « citoyens »,
on efface la contradiction principale de la société capitaliste,
c’est-à-dire la contradiction de classe. Le problème n’est pas que la
démocratie actuelle est « fausse » mais bien qu’elle est bourgeoise,
c’est-à-dire qu’elle est un outil de la dictature du capital. Face à
cette démocratie on ne peut pas opposer des papiers, des nouvelles
constitutions ou des projets de société idéale tel que le faisaient les
socialistes utopiques au 18e siècle. Face à la démocratie bourgeoise, on
oppose l’organisation du prolétariat autour de la classe ouvrière pour
lutter implacablement contre le capitalisme.
S’appuyant sur leur
négation de la lutte de classe, on nous dit que le mouvement devrait
tendre les bras aux flics et travailler avec eux pour que tout se passe
bien. De même, après un petit vernis de critique des médias, il faudrait
absolument renoncer à toute action qui nous décrédibiliserait à leurs
yeux. Et surtout on risquerait d’être réprimés parce qu’on ne
respecterait pas les règles… Bref, tous les arguments non d’une Nuit
Debout mais d’une vie à genoux !
Ceux là vont jusqu’à
nier la répression policière (ou pire l’encourager comme lorsque des
« responsables » de Nuit Debout à République ont appelé les flics samedi
soir dernier) et rejettent la faute de la répression sur les
occupants…enfin dans leurs bouches c’est plutôt les casseurs, les
provocateurs, les éléments violents, bref, les « mauvais manifestants ».
Ce discours amène de la part des organisateurs à toujours plus de
collaboration avec les forces policières, récemment la préfecture de
police de Paris a fait un communiqué pour saluer les efforts de
collaboration de Nuit Debout avec la police suite aux « violences » des
nuits précédentes, ce communiqué a été immédiatement relayé par le
compte twitter de Nuit Debout.
Occupy, Podemos, Syriza sont-ils des modèles ?
Parmi celles et ceux
qui rejettent le fait que Nuit Debout soit un mouvement apolitique,
beaucoup voudraient que ce soit un outil pour rassembler la gauche par
la base, en dehors des partis et syndicats. Ils s’inspirent du mouvement
d’occupation de places qui a eu lieu en Espagne avec les indignés par
exemple, ils évoquent aussi le mouvement Occupy aux Etats-Unis et pour
certain le rassemblement de la « gauche radicale » en Grèce avec Syriza.
Selon eux, ce serait
des exemples de réappropriations de la politique par la base et une
alternative aux partis traditionnels en déroutes. Néanmoins si l’on
analyse ce qui s’est passé en Espagne ou en Grèce on s’aperçoit vite que
ce ne sont pas des modèles à suivre. Ceux-ci ont débouché sur la
création de nouveau parti proposant une social-démocratie radicale face à
la défaite de la social-démocratie traditionnelle. Ainsi tous les
efforts ont été consacrés à la participation électorale, en vendant
l’illusion que l’on pourrait transformer le capitalisme de l’intérieur.
On a pu voir en Grèce que Syriza a été incapable de s’opposer aux
exigences des bourgeoisies européennes.
On en revient à la conclusion que Marx avait dressé dans La Guerre civile en France
écrit en 1871 et revenant sur l’expérience de la Commune de Paris : le
prolétariat ne peut pas se contenter de reprendre la machine d’Etat et
la faire tourner à son compte mais il doit détruire de fond en comble
l’Etat bourgeois pour mettre en place la dictature du prolétariat. Ainsi
les aspirations du prolétariat ne peuvent s’épanouir qu’à travers une
révolution, une révolution violente et non une révolution « citoyenne »
qui par définition n’est pas prolétarienne ou une « révolution par les
urnes ».
Si le rejet et le
dégoût des partis politiques institutionnalisés est quelque chose tout à
fait légitime, ce n’est pas la création d’un nouveau parti électorale
éclectique qui est la solution. La classe ouvrière et tout le
prolétariat a besoin d’un Parti pour la mener la révolution, ce Parti
doit représenter ses intérêts, il doit défendre une stratégie
révolutionnaire et une ligne politique claire, il doit s’appuyer sur
l’idéologie du prolétariat à notre époque, c’est-à-dire le
marxisme-léninisme-maoïsme.
Nuit Debout peut-il être un outil de lutte de classe contre la Loi Travail ?
Si l’on regarde la
composition de Nuit Debout, principalement à Paris, on s’aperçoit que
c’est principalement la petite bourgeoisie ainsi que les étudiants et
étudiantes qui sont mobilisés. La forme même de Nuit Debout ne permet
pas une réelle mobilisation des travailleurs et travailleuses. Après une
longue journée de travail, il n’y a pas le temps de passer la Nuit
Debout, il n’y a pas l’énergie d’écouter des discours de toutes sortes
pendant des heures pour finalement parler trois minutes. Cela vaut
principalement pour la Nuit Debout à la place de la République et se
ressent moins en banlieue. Si on regarde le mouvement Nuit Debout en
banlieue on s’aperçoit qu’il a principalement mobilisé le mouvement
associatif et une partie du mouvement syndical mais qu’il peine à
élargir, on retombe donc souvent dans un cercle de militants déjà connu
et habitué à prendre la parole.
Ainsi à travers ce
rapide tableau, nous voyons déjà les limites du mouvement Nuit Debout
néanmoins Nuit Debout, ce n’est pas que ça et des aspects positifs
doivent être soulignés et appuyés. En dehors de toute une frange qui
semble ne pas vivre dans le même monde que nous, sûrement parce qu’ils
et elles n’ont jamais mis les pieds sur un chantier dans une usine,
n’ont jamais vécu en quartier populaire, n’ont jamais accumulé les
boulots précaires, n’ont jamais subi de répression policière, n’ont pas
vu leurs amis sans papiers risquer la déportation, n’ont jamais vu des
expulsions locatives,…(est ce bien possible ?), bref, qui ont l’air de
regarder le monde autour d’eux à travers des lunettes arc-en-ciel, il y a
aussi celles et ceux qui tentent d’animer les Nuits Debout d’un esprit
de lutte.
C’est cette frange là
qui pense aussi que les manifs plan-plan ne nous permettront jamais à
elles seules de gagner quelque bataille que ce soit. C’est de là qu’ont
émergé les actions les plus intéressantes de Nuit Debout, notamment les
commissariats assiégés par plusieurs centaines de personnes pour libérer
les camarades arrêtés ; la solidarité avec les migrants ; la solidarité
avec les cheminots au travers de l’occupation de gares ; etc.
Mais il faut bien voir
que stratégiquement, les Nuits Debout sont un peu comme les manifs,
elles ne servent à rien si elles ne permettent pas à la lutte de
franchir un cap. Ce qui est déterminant, c’est comment la classe
ouvrière se mobilise dans cette lutte, à quel degré de confrontation est
elle prête à aller. En d’autres termes, comment le mouvement avance
vers une grève générale avec blocage et occupation des outils de
production, de distribution et de communication, en osant s’opposer
frontalement à la bourgeoisie. C’est ce qui est décisif dans la lutte de
classe. Est ce que les Nuits Debout permettront cela ? Ce n’est pas
impossible mais peu probable en l’état, cela nécessiterait une
transformation radicale du mouvement avec un objectif clair.
Il est plus réaliste de
considérer ce mouvement comme ce qu’il est : un mouvement dont la ligne
politique est loin d’être claire et dont la base sociale est partagée
entre majoritairement petite bourgeoisie puis une partie plus faible du
prolétariat, mais qui peut permettre aux révolutionnaire de regrouper
autour d’eux ; un outil en supplément des manifs mais qui ne se suffit
pas à lui même. Cela ne pourra se faire qu’en y menant la lutte en
posant la ligne de démarcation, en se détachant de la ligne citoyenniste
qui essaye de concilier des intérêts inconciliables. Nous devons
expliquer la dynamique de la lutte de classe, les intérêts
inconciliables qui sont la base de la société et le rôle de l’État et de
toute la superstructure issue du capitalisme. Nous devons rejeter le
processus qui pense qu’écrire une nouvelle constitution est plus
important que de développer la lutte. Nous devons mettre en place des
actions concrètes. Nous devons donner un but clair au mouvement : le
retrait de la loi travail dans un premier temps. Non pas car la Loi
Travail serait la source de tout nos problèmes. Nous savons toutes et
tous que celle-ci n’est qu’une loi anti-ouvrière et anti-populaire de
plus de ce gouvernement après l’ANI, le pacte de responsabilité, la loi
macron. La nécessité de mener une lutte résolue contre la loi travail
vient du fait que notre classe a enchaîné les défaites depuis la défaite
contre la réforme des retraites : seule une victoire peut nous faire
dépasser le stade de la défensive pour essayer de gagner de nouveaux
acquis. Ce n’est que comme ça que nous parviendrons à regrouper la
partie de Nuit Debout qui veut faire passer la lutte de classe à un
niveau supérieur, par la discussion et surtout l’action, tout en ayant
en tête toutes les limites de ce type de mouvement.
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