Demain, dimanche 4 Novembre 2018, l’État français organise sur le
territoire de la Kanaky (appelée Nouvelle-Calédonie par l’État colon) un
référendum à propos de l’indépendance de la nation kanak. Abordée dans
la presse comme une question périphérique, comme tout ce qui touche en
général aux colonies de l’État français, cette votation est pourtant
l’occasion de pointer du doigt la nature de cet État et les intérêts
qu’il défend dans les territoires qu’il continue à occuper.
En effet, l’État français souhaite évidemment conserver la Kanaky dans son giron, car elle est un point d’importance.
Important pour la bourgeoisie monopoliste de ce pays, puisque cet
ensemble d’îles et d’archipels au large du Pacifique et de la Mer de
Corail couvre à lui seul environ 15 % des zones économiques exclusives
(ZEE) françaises au large de ses nombreuses côtes. C’est l’apport des
colonies, d’abord de la dite Polynésie française et de la dite
Nouvelle-Calédonie, qui font de la France la deuxième plus grande ZEE
mondiale. Les eaux concernées en Kanaky sont à des profondeurs
océaniques, poissonneuses et potentiellement riches en minerais et
bassins sédimentaires. La supervision et l’extraction est déjà prévue
depuis plusieurs années par des programmes de repérage du gouvernement.
Les ZEE sont un pilier de l’économie maritime. Elles étaient un argument
phare et souvent abordé dans les interventions de Jean-Luc Mélenchon
lors des élections de 2017 par exemple. Comme le reste des politiciens
et des bourgeois de métropole, sa position sur le référendum est issue
de sa place de choix dans l’État colon. Si, contrairement à une grande
partie de la droite et du gouvernement qui veulent explicitement la
victoire du « non », Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas prononcé, il admet
pencher du côté du « rester ensemble » comme il l’a dit le 30 septembre
sur France 3 (https://la1ere.francetvinfo.fr/jean-luc-melenchon-refuse-se-prononcer-referendum-independance-nouvelle-caledonie-633058.html).
En plus de ces richesses marines, entre 20 et 40 % des réserves
mondiales de nickel sont réparties sur le territoire de la Kanaky et
l’État français tente de garder l’emprise par tous les moyens sur cette
ressource stratégique. Même en cas d’indépendance formelle,
l’impérialisme français conserverait la mainmise sur ces ressources
comme il l’a fait pour ses ex-colonies africaines.
Alors « rester ensemble » ? Sous cette formule bien creuse, la réalité
est très différente d’un simple choix qui se résumerait à « ensemble ou
séparés ».
La Kanaky n’est pas une partie intégrante de l’État français, elle est
une colonie depuis maintenant deux siècles. Successivement et
conjointement colonie pénitentiaire où sont déportés les opposants et
révoltés indigènes, colonie d’extraction minière, colonie de plantation
et colonie de peuplement, la Kanaky n’a jamais été, depuis la
proclamation de la domination française en 1853, libre et indépendante.
Face à cette situation, il est naturel que la résistance devienne le mot
d’ordre. Le Front Indépendantiste puis le Front de Libération Nationale
Kanak et Socialiste (FLNKS), son successeur, développent, dans les
années 1980, des positions justes et visent la libération nationale pour
la Kanaky. Ils pratiquent le boycott actif des scrutins et
représentations « démocratiques » organisées par le colonisateur. En
1984, le leader Machoro défonce une urne à coup de hache. C’est le début
des actions offensives du FLNKS. Ils organisent des prises d’otages et
des attaques ciblées sur les ennemis du peuple kanak, en particulier les
agents du colonisateur français sur place. Sur l’île d’Ouvéa en 1988,
le FLNKS attaque une gendarmerie et organise son occupation et la
séquestration des gendarmes. Cela intervient entre les deux tours de
l’élection présidentielle française, pour protester contre le nouveau
statut du territoire, les exactions et manipulations juridiques
françaises ainsi que la votation fantoche organisée un an plus tôt.
L’assaut des forces de l’État colon sur les commandos fait 19 morts, une
grande partie d’entre eux étant décédés dans des circonstances
suspectes. L’État étouffe l’affaire, ment et se blanchit d’avoir
pratiqué des exécutions sommaires après les combats.
Avec des exemples tels que celui-ci, il est facile de comprendre
pourquoi la lutte du peuple kanak est importante. Alors pour quelle
raison ce référendum est-il ignoré et peu médiatisé hors de Kanaky ?
Comment expliquer que les organisations indépendantistes kanaks les plus
déterminées ait appelé à la « non-participation » au scrutin ?
C’est que la présence française en Kanaky ne se manifeste pas que par
l’administration coloniale. Au contraire, l’afflux de métropolitains est
tel que les kanaks représentent désormais seulement 40 % de la
population des îles de la Kanaky. Malgré leur majorité relative, les
Kanaks vivent face à face avec les colons, qu’ils soient Caldoches
(européens installés depuis les débuts de la colonisation en Kanaky) ou
Métropolitains, arrivés avec le boom du nickel dés les années 1960 et
l’attrait économique renouvelé des îles. La composition de classe de
l’économie du territoire ne trompe pas, et on retrouve aux postes clefs
des entreprises exploitantes de l’archipel une majorité écrasante venue
de la minorité européenne. L’Etat français n’a eu de cesse depuis les
« accords » signés à Matignon à la suite du massacre d’Ouvéa en 1988
entre le FLNKS et le gouvernement de François Mitterrand, de repousser
l’échéance de la consultation, initialement prévue en 1998. Le
gouvernement Jospin le repoussera a 2014, pour ne la voir finalement
organisée qu’en 2018, laissant le temps à l’État colonial français de
renforcer son emprise coloniale et économique sur la région. La Kanaky
est aujourd’hui, comme l’était l’Algérie en 1954, une colonie de
peuplement, où 73000 colons français écrasent démographiquement les
kanaks dans les centres urbains du pays. Les kanaks eux, sont repoussés
dans les périphéries ou dans des bidonvilles autour de Nouméa. Le
rapport de domination économique et géographique entre colons et
colonisés n’a fait que se renforcer d’années en années, en dépit des
illusions d’ « autonomie » promises par l’État français.
Les conditions de vote au référendum, si elles excluent les nouveaux
arrivants, donnent une voix favorable au vote en bloc des français
présents pour le maintien de la Kanaky dans l’État français. De cette
manière, les conditions démographiques spécifiques de l’archipel
déterminent déjà à l’avance le résultat. Et bien avant elles, ce sont
les aspects socio-économiques de la Kanaky qui priment. Les nombreuses
dénonciations d’un « simulacre » ou d’une « escroquerie » sont donc bien
fondées.
Nous avons dit jusqu’ici pourquoi la situation en Kanaky, l’une des
dernières colonies majeures de l’État français, était importante pour
eux, pour la bourgeoisie monopoliste impérialiste française, pour ses
agents sur le terrain, qu’ils soient bourgeois, petits bourgeois venus
profiter des îles ou forces de répression. Mais pourquoi est-elle
importante pour nous, communistes de l’État français ?
En tant que léninistes, nous affirmons le droit inconditionnel des
peuples à disposer d’eux-mêmes, et nous reconnaissons que les luttes de
libération nationale à l’époque de l’impérialisme sont liées
indéniablement aux luttes pour la révolution prolétarienne mondiale. La
politique coloniale pratiquée en Kanaky par l’État français bafoue tous
les droits des masses populaires et la résistance revendiquée par le
peuple kanak est par conséquent justifiée et légitime !
Le référendum de ce dimanche n’est qu’une poudre aux yeux jetée à
l’opinion nationale et internationale. Il doit provoquer en nous l’effet
contraire.
Il doit nous rappeler que nous vivons et luttons contre un État toujours
colonial, toujours impérialiste, qui opprime tant dans la métropole que
dans ses colonies directes et ses semi-colonies.
Les martyrs d’Ouvéa nous rappellent que sous une façade démocratique,
l’impérialisme est toujours prêt à massacrer ses opposants quand il se
sent menacé.
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